Rapport de Millésime 2023: Une année rock’n’roll

Les millésimes se suivent mais ne se ressemblent pas et, pour cultiver la vigne et vinifier ses raisins, il faut être à l’écoute de la nature. Dans l’ensemble des Domaines Paul Mas, 2023 a été marqué par des conditions climatiques particulières où la pluie a joué les divas. De la réactivité et des interventions au vignoble pour protéger et fertiliser la vigne et travailler les sols ont toutefois permis d’aboutir à de beaux résultats dans les cuves.

DES CONDITIONS PARTICULIÈRES

 

L’hiver 2022 a donné le la à une année sèche où les occasions de « chanter sous la pluie » ont été rares, quels que soient les terroirs. Deux exemples parmi les dix-sept propriétés réparties dans tout le Languedoc et le Roussillon. Au château Lauriga, dans les bien nommées Aspres roussillonnaises, littéralement « terres arides » en catalan, seuls 180 millimètres (mm) sont tombés en un an. Au château des Crès Ricards, en Terrasses du Larzac, la vigne n’avait reçu fin septembre que la moitié des 500 mm annuels habituels. Difficulté supplémentaire : s’il a fallu attendre le mois de mai pour que se fasse sentir la première goutte, 130 mm de pluie se sont ensuite abattus en deux mois sur ces terres. Des conditions d’humidité qui ont favorisé les attaques de mildiou.

D’autres propriétés ont connu de longues périodes d’humidité propices au développement de la maladie cryptogamique. Dans les vignobles de Limoux, au château Martinolles notamment, la sécheresse tenace jusqu’à la fin du mois d’avril a été brutalement interrompue par la pluie entre le 7 mai et 15 juin. En Costières de Nîmes, au château Oustau Saint André, extrémité est des Domaines Paul Mas, un hiver et un printemps là ici aussi secs et venteux ont été suivis d’un début d’été pluvieux.

Partout, il a alors fallu suivre la cadence imposée par le ciel. Parasites et autres ravageurs ne connaissant ni les dimanches ni les jours fériés, les équipes étaient constamment sur le pont pour combattre le champignon. Leurs efforts n’ont heureusement pas été vains. La récolte a non seulement été sauvée mais elle excède même parfois celle de l’année dernière, comme c’est le cas pour la cinquantaine d’hectares cultivés en agriculture biologique du château Oustau Saint André.

Enfin, dernier acte d’une année qui n’aura décidément laissé aucun répit à la vigne et à celles et ceux qui la cultivent, certains vignobles ont connu un été chaud et sec. Deux scénarios se sont alors produits. Soit la sécheresse a bloqué les maturités soit, lorsque les raisins étaient à un stade plus avancé, une véritable course contre la montre s’est enclenchée pour récolter avant que les degrés ne s’envolent. Au château Martinolles, le thermomètre s’est affolé alors que les premiers coups de sécateurs étaient donnés et il a fallu vendanger rapidement, les chardonnays tout particulièrement.

À L’ARRIVÉE, DES RENDEMENTS VARIÉS…

Le poids de la vendange varie selon plusieurs facteurs. Le terroir tout d’abord, qui se définit par la nature du sol, l’altitude ou encore l’exposition des parcelles. Ainsi, à Limoux, les vignes plantées sur des sols avec une forte proportion d’argile ont nettement moins souffert que celles sur des sols plus calcaires. À Montagnac, les vignes de plaines ont mieux supporté la sécheresse que celles des coteaux.

Autre paramètre essentiel : l’accès à l’eau. Au château Lauriga, où 30 hectares étaient irrigués cette année, la différence est spectaculaire : 6 à 10 tonnes par hectare pour les vignes qui ont pu en bénéficier, contre 3 petites tonnes (7 à 25 hL/ha) pour celles qui ont du s’en passer. Les mêmes écarts de rendements ont été observés au château des Crès Ricards entre les parcelles irriguées ou non. Au château Oustau Saint André, sur des sols alluvionnaires, dont des galets roulés qui conservent et restituent la chaleur, l’accès à l’eau notamment a permis de produire d’excellents résultats. Il faut toutefois noter qu’il a aussi été possible de maintenir un niveau de production équilibré sans l’aide de l’irrigation. Les soixante hectares en appellation Minervois du château Villegly, en sont la preuve.

Pour réaliser ce tour de force, obtenir des sols vivants et aérés s’est avéré la clef. Le labour, outre qu’il limite de manière écologique une trop forte concurrence entre l’herbe et la vigne, décompacte les sols. Contrairement aux herbicides, il préserve leur activité biologique, ce qui améliore l’alimentation de la plante. De plus, en coupant les racines superficielles, il force les ceps à s’enraciner en profondeur pour aller chercher de l’eau et des sels minéraux.

Travaillés, les sols sont également fertilisés « à l’ancienne » en automne et en hiver. Amendements de fumier, engrais organiques, ensemencements de bactéries : toutes ces stratégies apportent de la matière organique, une pratique d’autant plus nécessaire que les périodes de sécheresse bloquent la vie microbienne des sols. Les résultats sont visibles à l’œil nu et se perçoivent au nez : de la terre, plus sombre, émane un parfum d’humus. Plus dense, elle retient mieux l’eau. Mieux nourries, les vignes sont plus généreuses en raisins.

… ET DES JUS DE GRANDE QUALITÉ

Dans les chais, les vinificateurs célèbrent de concert la qualité des raisins, rentrés très sains. Lorsque les volumes sont en baisse, les baies sont plus concentrées. Au château des Crès Ricards, les premières analyses indiquent des valeurs de polyphénols totaux très élevées qui promettent des vins charpentés. Les assemblages seront cruciaux pour trouver l’équilibre et atténuer la puissance des cépages rentrés avec d’importants degrés. Guillaume Bonnet, le responsable du site, avoue un coup de cœur pour les syrahs qui, si elles faisaient triste mine à la vigne avec des grains confits par la chaleur, se révèlent « incroyables en cuve ».

Hugo Terruel, maître de chai des vignes de Nicole et d’Astélia, note aussi des raisins avec moins de jus mais des degrés et de beaux équilibres, annonçant des vins rouges puissants, tanniques, avec des notes poivrées et torréfiées. Dans la plaine de Conas, que le climat très sec est en train de transformer en Napa Valley du Languedoc, même les merlots se sont transformés en d’intenses jus noirs après seulement deux délestages.
Pour les Cabernets-Sauvignons, il a fallu veiller à bien extraire la riche matière première pour obtenir dès le départ tous les sucres afin de ne pas être confrontés à des fermentations arrêtées. Ici, le maître de chai a un faible pour les vieilles syrahs en AOP Languedoc (avec un rendement limité à 35 hL/ha) qui entrent dans l’assemblage du château Paul Mas. 

Côté blancs, même son de cloche : des rendements en baisse mais une qualité des jus supérieure à celle de 2022, avec déjà de délicieux arômes fruités et floraux. Les chardonnays et les viogniers embaument les fruits exotiques (ananas, banane) et les sauvignons expriment leur profil thiolé, même sans stabulation à froid. Et malgré les degrés généreux, les jus conservent de la tension.

José Ramos dos Santos, régisseur du domaine de la Ferrandière, dont plus de 150 hectares sont plantés dans un ancien étang, est au diapason : 2023 constituera une excellente année pour les blancs, qu’il s’agisse du chardonnay, du viognier, du vermentino, du sauvignon ou encore du riesling. Au château Martinolles, 90 hectares cultivés sur la commune audoise de Saint-Hilaire, le berceau de la bulle hexagonale, Bastien Lalauze se dit « très satisfait » lui aussi du millésime, en quantité comme en qualité.

Les effervescents, Blanquette et Crémant de Limoux, promettent déjà des belles aromatiques avec des petits fruits et des notes florales. Les blancs secs sont également très parfumés, avec une acidité correcte malgré les fortes chaleurs. Les rouges présentent eux un caractère très fruité et les conditions ont particulièrement réussi au pinot noir. Récoltés plus tôt, avec moins de degré, le rapport peau / jus est en faveur de l’extraction des composés phénoliques avec une très belle couleur et de jolis fruits rouges frais.

Si le millésime 2023 n’a pas été réglé comme du papier à musique, il se place dans la continuité des millésimes précédents, 2019, 2020 et 2022 (2021 faisant exception à cause du gel qui a touché 70 % du vignoble). Surtout, il constitue la preuve qu’une gestion des vignobles bien orchestrée et un travail acharné peuvent aboutir à un concert de louanges !